L’amour chez Binswanger comme « Entre » incommensurable

Description En caractérisant l’amour par la donation d’un nous entité-monde nommée Wirheit, qui ouvre le monde en donnant lieu à un espace « entre », qui sera aussi développé sur un plan daseinsanalytique sous le terme d’Aïda par le psychiatre japonais Bin Kimura (1931-2021), se développe une compréhension propre de l’être dans l’amour et l’amitié que seul Ludwig Binswanger, parmi les psychopathologues de son temps, a repéré au début des années quarante. Il l’a fait en compagnie de Husserl et de Heidegger, de Karl Löwith, annonçant déjà un dépassement du monde dans la rencontre, et de Martin Buber, insistant sur la réalité concrète de ces mots-principes que sont le « je » et le « tu » et le caractère originaire de leur relation, distingué du je-cela, qui se rapporte aux choses.

Comme le reprend Binswanger de Buber : « L’amour existe entre le je et le tu. » (Je et Tu, trad. G. Bianquis, Paris, Aubier, 1969, p. 34). Se révèlent nécessaires à la méthode des Formes fondamentales et connaissance de la présence humaine (1942), ces va-et-vient, ces zigzags pro- et rétrospectifs afin de comprendre pour chacun de nous la constitution, qui va de pair, d’un monde commun et d’un monde propre. Dans ce texte, se trouve suspendue à la façon de Heidegger l’intentionnalité de la conscience et étendu le Dasein heideggérien à ce qui jusque-là lui a manqué : le cœur, l’incarnation, ce qui par-delà la finitude se manifeste comme l’infinité de l’intime « entre » nous. Les Formes fondamentales et connaissance de la présence humaine donnent accès à un monde pré-intentionnel, an-égoïque, faisant s’intercepter la phantasia, l’infinité du présent et l’être donné des choses mêmes et du monde comme totalité, reconduisant la présence à ses fondements éthiques, matériels et cosmiques dans la présence toujours déjà préalable de l’autre. Pour le dire plus simplement : l’amour, la vie et la donation de l’être sont les conditions préalables de la présence. Binswanger pour le montrer n’a peut-être pas, comme le fait remarquer Wolfgang Blankenburg, autant de savoir et de rigueur philosophique que Heidegger, mais il a sans aucun doute bien plus d’expérience quant à ce qu’est le plus humain dans l’homme, la possibilité de la rencontre. Heidegger critique Binswanger quand il tend à confondre l’anthropologique et l’ontologique mais Binswanger se montre également philosophe, tout aussi respectable, lorsqu’il reproche à Heidegger la froideur de ses existentiaux.

Avec Caroline Gros et Jean Naudin.

Psychiatre et docteur en philosophie, exerçant à Marseille à l’Assistance-Publique Hôpitaux de Marseille, Jean Naudin est chercheur permanent au CNRS (Institut de Neurosciences de la Timone, Unité mixte de recherche 7289) et enseignant à la Faculté de Médecine de Marseille, Université de la Méditerranée. Il est l’auteur de Phénoménologie et psychiatrie. Les voix et la chose (Éd. Presses universitaires du Mirail, 1997) ; La Schizophrénie. Idées reçues sur une maladie de l’existence avec Bernard Granger (Le Cavalier bleu, Collection idées reçues, Paris, 2008, 2019). À paraître : en collaboration avec Caroline Gros, « Préface », Formes fondamentales et connaissance de la présence humaine, L. Binswanger, trad. C. de Catuélan, Paris, J. Vrin, 2024.

Psychanalyste, membre de l’École française de Daseinsanalyse, docteure en philosophie, Caroline Gros a traduit Ludwig Binswanger, (Le Problème de l’espace en psychopathologie, Toulouse, PUM, 1988), et Martin Heidegger, (Séminaires de Zurich, Paris, Gallimard, 2010) ; elle est l’auteure de Ludwig Binswanger entre phénoménologie et expérience psychiatrique, éditions de la Transparence, 2009 et de la « préface » à l’édition francophone de Ellen West, Poésie, textes en prose, journal intime, historique clinique, recueil établi par N. Akavia et A. Hirshmüller, trad. J. Auxenfants, Paris, éditions du Cercle Herméneutique, 2023.
Début de l'événement 16.05.2024 - 18:00
Fin de l'événement 16.05.2024 - 20:00
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